Hermès Trismégiste, et la spiritualité gréco-égyptienne Ο Ερμής ο Τρισμέγιστος, και η Ελληνοαιγυπτιακή πνευματικότητα (mis à jour)

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Les Grecs sont-ils passés directement, du culte des douze dieux de l’Olympe au christianisme ?

Les « livres d’Hermès Trismégiste », et d’autres textes aujourd’hui accessibles à chacun, montrent une réalité plus complexe. Un monde grec traversé de courants divers, philosophiques, spirituels, religieux, qui cohabitent, fruits de sa propre évolution ou d’un syncrétisme avec d’autres spiritualités.

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Les « livres d’Hermès Trismégiste » étaient également connus de certains intellectuels ou penseurs grecs du Moyen âge. Ici, l’article de la Souda, le dictionnaire encyclopédique grec du Moyen âge, sur Hermès Trismégiste. Il y est présenté comme un sage égyptien qui affirmait l’existence d’une divinité trinitaire. Une façon de rapprocher son message du message chrétien. Edition milanaise de Dimitrios Chalkokondilis, publiée en 1499 – un clic pour agrandir.

Ce que l’on apprend en faisant ses humanités, c’est qu’après les conquêtes d’Alexandre le Grand, la langue et la culture grecques s’installent dans les grands centres urbains d’Égypte. Il s’y crée aux côtés de la civilisation grecque, une culture syncrétique. Des Grecs adoptent les dieux égyptiens et les honorent en plus de leurs propres dieux : rien de plus normal dans le monde polythéiste, que  la juxtaposition de divinités d’origines diverses. Plus tard, des Juifs s’hellénisent, notamment à Alexandrie. Il se forme un monde intellectuel en ébullition, sous l’égide de la langue et de la culture grecques, ouvert au meilleur de toutes les cultures, avide de confronter les savoirs, les sagesses, les spiritualités, à la recherche de la meilleure explication du monde (une coexistence mise à mal par les émeutes inter-ethniques du 1er siècle après J.-C.).

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L’article de la Souda, le dictionnaire encyclopédique grec du Moyen âge, sur Hermès Trismégiste. Edition de Bekkeri, publiée à Berlin en 1854 – un clic pour agrandir.

Ce qui est moins connu, c’est la naissance de textes mystiques en langue grecque, en partie inspirés de la spiritualité égyptienne.

Parmi les textes fondateurs de cette spiritualité hybride, se trouvent donc « les livres d’Hermès Trismégiste ». En grec, « Hermès Trismégiste » (« Ερμής ο Τρισμέγιστος »  / « Ermis o TrismEgistos ») signifie « Hermès le trois fois très grand ».

Les livres d’Hermès Trismégiste n’ont jamais constitué un dogme de nature à remplacer les croyances grecques.

Ils n’ont fait qu’alimenter un courant parmi tant d’autres, dans un monde dépourvu de véritables dogmes.

La lecture de ces textes révèle une conception du divin, de l’âme, du corps, une continuité de l’être qui rejoint ou s’oppose à certains courants philosophiques grecs (« rien ne se perd, tout se transforme »), eux-mêmes très nombreux et très divers. La dualité âme/corps et un rapport assez sévère au corps, dont il conviendrait de se détacher, imprègnent les textes d’Hermès Trismégiste. Ils rappellent les notions platoniciennes, en opposition à une autre vision grecque plus proche de la matière, du corps et des sens.

Le sujet « Hermès Trismégiste » est pour le moins difficile à maîtriser. Il ne s’agit ici que d’inviter à la découverte, sans autre prétention.

Comme on le sait, Hermès était le dieu grec des messagers et des voyageurs, mais aussi l’accompagnateur des âmes vers l’Hadès, le monde des morts (Hermès est alors désigné sous les termes Hermès Psychopompe –  Ψυχοπομπός / PsykhopompOs). Celui que les Romains appelaient « Mercure ». Dans la mythologie grecque, Hermès est en principe le fils de Zeus et de la pléiade Maïa, et le petit-fils du titan Atlas. Au fil du temps, la conception que les anciens avaient d’Hermès évolue.

Qu’en est-il d’Hermès Trismégiste ? Les théories sont nombreuses. Certaines d’entre elles sont évoquées en introduction des traductions françaises des livres d’Hermès Trismégiste (voir infra). Ce serait une divinité hybride, fusion de l’Hermès des Grecs et de la conception que les Egyptiens avaient du dieu Thot. Pour d’autres on aurait simplement identifié Hermès à Thot. D’autres encore le présentent comme un homme, un sage. D’autres enfin comme étant à la fois homme et dieu. Tout cela alimente la confusion et brouille les pistes.

Même chez ceux qui considèrent qu’on a identifié Hermès à Thot, sa généalogie mythique est source de discussions. Pour Champollion, qui cite aussi des extraits grecs des livres hermétiques, il y aurait deux « Hermès » issus des textes égyptiens. Dans son « Panthéon Egyptien », au chapitre « Thot trismégiste, le premier Hermès, Hermès trismégiste », Champollion distingue le premier Hermès, ou Hermès trismégiste, le dieu égyptien Thot à tête d’épervier, de Thoyt ou Taut, à tête d’Ibis (« Panthéon Egyptien, collection des personnages mythologiques de l’ancienne Egypte, d’après les monuments, avec un texte explicatif par M. J.F. Champollion Le Jeune, et les figures d’après le dessins de M. L.J.J. Dubois », Paris 1825). L’Hermès à tête d’ibis remplirait, notamment, les mêmes fonctions que l’Hermès Psychopompe des Grecs. Il serait de rang inférieur à Hermès Trismégiste et ne serait désigné que sous les termes « deux fois grands ».

Les divergences portent également, sur l’importance de l’influence égyptienne dans les « livres d’Hermès trismégiste », sur la part d’invention, de création, et de continuité.

Hermès ailé. Casque ailé, sandales ailées, tenant le caducée - Κηρύκειο - surmonté de deux ailes et entouré de deux serpents. Illustration figurant sur un timbre grec moderne. Photo Wikimedia Commons.

Hermès ailé. Casque ailé, sandales ailées, tenant le caducée – Κηρύκειο – surmonté de deux ailes et entouré de deux serpents. Illustration figurant sur un timbre grec moderne. Photo Wikimedia Commons.

Thot. D'après le

Thot. D’après le « Panthéon Egyptien » de Champollion et Dubois. Paris, 1825

Le disque ailé de l'épervier. Symbole de Thot trismégiste, le premier Hermès selon Champollion. La ressemblance avec le symbole zoroastrien du Faravahar interroge. D'après le

Le disque ailé de l’épervier. Symbole de Thot trismégiste, selon Champollion. Lui aussi orné de deux serpents, comme le caducée ailé du dieu Hermès des Grecs. La ressemblance avec le symbole zoroastrien du Faravahar a de quoi interroger le profane. De même que certains points communs que révèle la lecture des « livres d’Hermès trismégiste ». Illustration extraite du « Panthéon Egyptien » de Champollion et Dubois. Paris, 1825

Hermès sur un vase noir à figures rouges. 500-450 av. J.C.. - Source :

Hermès sur un vase grec, noir à figures rouges. 500-450 av. J.C.. Jambes toujours ailées mais avec un caducée cette fois-ci dépourvu d’ailes et de serpents. – Source : « theoi project ». theoi.com. Metropolitan Museum of Art, New York

Les livres d’Hermès Trismégiste auraient été rédigés par un auteur inconnu. Certains chercheurs qui les ont traduits les datent des débuts de l’ère chrétienne. Ils seraient donc concomitants au développement du christianisme. Mais il seraient antérieurs à la sélection définitive des évangiles opérée  par l’Église au cours des premiers siècles de notre ère. Ils sont en grec, dans une langue plus accessible à un Grec d’aujourd’hui que le grec classique, et qui rappelle un peu le grec des Evangiles.

A parcourir ou lire par les curieux.

Le texte repris sur le site remacle.org : http://remacle.org/bloodwolf/erudits/hermestrismegiste/table.htm

En 1866, Louis Ménard en publia une traduction en français sous le titre « Hermès trismégiste, traduction complète d’une étude sur l’origine des livre hermétiques » (Paris, 1866).

Version scannée par Google : https://books.google.fr/books?id=nzYlAAAAMAAJ&printsec=frontcover&dq=Herm%C3%A8s+Trism%C3%A9giste&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi3u6Tu0vHRAhUL0xoKHdiFBpIQ6AEIJDAB#v=onepage&q=Herm%C3%A8s%20Trism%C3%A9giste&f=false

Au 20ème siècle, le moine dominicain André-Jean Festugière publie plusieurs traductions en français de livres d’Hermès Trismégiste, dont certains issus d’une compilation de textes de l’antiquité tardive, « L’anthologie » de Stobée.

En plus de leurs traductions, Ménard et Fustigère ont fourni quelques-unes des théories sur Hermès Trismégiste et sur les écrits qui portent son nom.

Hermès Trismégiste éveille aussi la curiosité sous l’angle de ses rapports avec le dogme chrétien. A la lecture de ces textes, certaines notions semblent se rapprocher de la vision chrétienne du divin. D’autres en diffèrent et rappellent les spiritualités attachées au cycles des réincarnations, des renaissances, ou de la re-manifestation, l’hindouisme ou le bouddhisme.

La Souda, le dictionnaire encyclopédique grec du Moyen âge, l’évoque également. Il y est présenté comme un sage égyptien qui affirmait l’existence d’une divinité trinitaire (voir supra).

D’autres aspects de la spiritualité ancienne précèdent le christianisme. Autant de pistes de réflexion, et de lectures en perspective… Des divinités évoquent l’incarnation, la résurrection et l’immortalité, grecques ou pas – comme le dieu Dionysos, et Mithra, pour lequel se développe un culte dans le monde gréco-romain. A la problématique de la dualité âme/corps présente dans certains courants religieux ou philosophiques grecs – comme l’orphisme, ou la philosophie platonicienne – répondront l’incarnation et la promesse de résurrection des chrétiens. En poussant un peu, on peut d’ailleurs se demander si la véritable constante des croyances grecques n’est pas dans la fascination pour l’incarnation du divin, pour sa proximité et sa présence physique parmi les humains, pour l’idée que la divinité ait partagé la condition humaine au point qu’on ait pu lui parler, la toucher, à un moment donné du temps des hommes, bref pour l’humanité du divin : ces éléments sont aussi présents dans le paganisme grec, où les divinités qui s’incarnent sont légion. Même si bien sûr c’est pour des raisons, et selon des modalités, très différentes de celles du Dieu chrétien.

Des explications plus terre-à-terre décrivent le contexte du basculement du monde grec dans le christianisme. Comme la volonté romaine d’unifier spirituellement l’Empire. En diffusant le culte de Sol Invictus, puis en imposant le christianisme, d’abord persécuté, comme religion d’Etat.

Le monde grec a accueilli ou contribué à ces évolutions. Il est alors tentant d’avancer qu’il n’a pas existé une vision grecque unique du monde, mais plusieurs. N’est-ce pas un peu ce qui fait l’attrait, la richesse et la puissance intellectuelle du monde grec ? Cette réalité polymorphe, qui a tantôt initié, tantôt suivi les grands bouleversements intellectuels, qui a  cherché à tout comprendre, à tout explorer, à tout confronter…

Panayiotis Lipsos

texte modifié en mars 2017

Ερμής ο Λόγιος, Hermès l'érudit. Revue littéraire des intellectuels grec de Vienne. Elle paraît en grec à partir de 1811, jusqu'à son interdiction par les autorités autrichiennes en 1821, en raison de l' appartenance de son directeur à l'organisation qui préparait le soulèvement grec contre les Ottomans. La revue elle-même n'avait aucun but politique. Elle visait seulement à l'émancipation intellectuelle des populations grecques, par la culture. Photo Bibliothèque nationale d'Autriche.

Ερμής ο Λόγιος, Hermès l’Erudit. Revue littéraire des intellectuels grecs de Vienne. Elle paraît en grec à partir de 1811, jusqu’à son interdiction par les autorités autrichiennes en 1821, en raison de l’ appartenance de son directeur à l’organisation qui préparait le soulèvement grec contre les Ottomans. La revue elle-même n’avait aucun but politique. Elle visait seulement à l’émancipation intellectuelle des populations grecques, par la culture. Photo Bibliothèque nationale d’Autriche.

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