Gaston IV : quand l’histoire béarnaise croise l’histoire grecque Γκαστόν Δ΄: όταν η ιστορία του Μπεάρν συναντά την Ελληνική ιστορία

 

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L’olifant de Gaston IV. Trésor de la Cathédrale Saint-Sauveur de Saragosse (Espagne). Couverture de « Gaston IV le croisé. Le Béarn et son héros épique » : un livre très documenté sur ce vicomte de Béarn qui participa à la Reconquista, mais aussi à la 1ère croisade (1095-1099).

 

Au cours de la première croisade, Byzantins et Béarnais ont combattu en alliés contre les Turcs seldjoukides.

C’était en 1097, à la bataille de Nicée.

Un épisode méconnu, grâce auquel l’histoire du Béarn se transforme en porte improbable, vers l’histoire du monde grec.

 

En novembre 1095, le Pape Urbain II lance « l’appel de Clermont », à l’issue d’un concile resté célèbre. Parmi les évêques présents, venus du Béarn, on compte ceux de Lescar et d’Oloron. Urbain II exhorte les chrétiens d’Occident à venir en aide à leurs frères d’Orient, face à la nouvelle avancée musulmane. (1)

Cela fait longtemps, déjà, que les Arabes ont pris Jérusalem aux Byzantins (au 7ème siècle). Mais les Turcs seldjoukides commencent à envahir l’Empire byzantin, et plus précisément, pour ce qui nous concerne ici, l’Anatolie. Les premières incursions turques dans cette région ne datent que du milieu du 11ème siècle. La bataille de Mantzikert, souvent considérée comme le début de la conquête turque, s’est déroulée en 1071. Les Turcs seldjoukides s’emparent ensuite de Jérusalem.

C’est dans cette histoire mouvementée que s’inscrit un vicomte de Béarn, Gaston IV, plus connu pour sa participation à la Reconquista espagnole.

Gaston IV est issu de la dynastie des Centulle, celle dont le blason est encore considéré comme l’emblème du Béarn : deux vaches béarnaises rouges aux cornes bleues, l’une au-dessus de l’autre, sur fond d’or.

Il répond à l’appel du Pape.

Avec ses troupes, comme les autres croisés, il traverse l’Europe, atteignant le nord de la Grèce actuelle, puis l’Asie mineure. (1) 

De l’Espagne jusqu’en Terre sainte, en passant par l’Anatolie, les batailles de ce guerrier béarnais ont laissé leur trace dans les chroniques médiévales. Sa bravoure et sa magnanimité y sont vantées. 

En 1097, il participe au siège de Nicée (Νίκαια), que les Turcs avaient transformée en capitale de leur Sultanat (le nom grec de la ville sera transformé en « Iznik » par les Turcs, nom qu’elle porte encore aujourd’hui).

Un détachement byzantin combat aux côtés des croisés. Il est dirigé par le général Manuel Boutoumitès (Μανουὴλ Βουτουμίτης / Manoui’l Voutoumi’tis). 

A Nicée,  Gaston IV aurait vu à l’oeuvre les machines de siège utilisées par ses alliés byzantins. Par la suite, il serait devenu un spécialiste de ce type d’engins.

Il se couvre de gloire à Dorylée, où il sauve les Normands aux côtés du légat du Pape. Dans une manoeuvre d’enveloppement, il s’empare du camp des Turcs avant de rejoindre le champ de bataille, et de prendre leurs troupes à revers.

Gaston IV combat également en Terre sainte. Les chroniques le citent à Antioche, à Jérusalem, à Ascalon… Au cours du siège de Jérusalem, il joue un rôle essentiel aux côtés de Tancrède, le chef des Normands d’Italie méridionale. Les Béarnais de Gaston et les troupes de Tancrède s’emparent du mont du Temple (« l’Esplanade des Mosquées »).

Est-ce à dire que les couleurs ornées des vaches béarnaises furent brandies au-dessus de Jérusalem ?

Pas de certitude. Mais on se prend à l’imaginer, quand on lit que Gaston et Tancrède auraient tenté de sauver du massacre « un grand nombre d’infidèles » venus se réfugier sur ces hauteurs, en les plaçant sous la protection de leurs bannières. Selon une « Histoire anonyme de la première croisade », « Au-dessus du temple de Salomon, s’était réfugié un groupe nombreux de païens des deux sexes, auxquels Tancrède et Gaston avaient donné leurs bannières ». Dans son « Histoire du voyage de Jérusalem » (Historia de Hierosolymitano itinere) Pierre Tudebode rapporte que « Tancrède et Josseran offrirent leur bannière à un grand nombre d’infidèles des deux sexes réfugié au-dessus du Temple ». (2)

Quid des pillages des croisés en terre byzantine ? On lit souvent qu’ils avaient une fâcheuse tendance à « vivre » sur le pays aux dépens des paysans byzantins, créant des dissensions, ou suscitant des accrochages, au sein même du « camp chrétien ». Au grand damne des autorités byzantines, soucieuses de ne pas perdre le contrôle de leurs turbulents alliés.

A notre connaissance, les chroniques n’évoquent pas la participation de Gaston IV à ce type d’incidents fratricides. Laissons-lui donc le bénéfice du doute.

 

Combattant infatigable, Gaston IV perdra la vie en Espagne, trente ans après la première croisade.

Dans l’histoire du Béarn, les batailles menées dans l’Anatolie du 11ème siècle nous semblent relever de l’anecdote à peine croyable. Si le Béarn était indépendant, Gaston IV en serait sans doute l’un des héros nationaux. Mais aujourd’hui, son existence même est ignorée du plus grand nombre.

Il s’agit pourtant d’une période cruciale de l’histoire grecque : l’avancée turque en Anatolie fut un coup terrible porté à l’Empire byzantin, dont la culture, et l’histoire, imprègnent encore si profondément les Grecs d’aujourd’hui. C’est le début du recul progressif de la langue grecque et de la religion orthodoxe en Anatolie, au profit de la langue turque et de la religion musulmane. (3)

La victoire de Nicée, et celles qui suivirent, ne firent que retarder l’échéance.

L’esprit se perd tout de même, à l’idée que les deux vaches béarnaises aient pu côtoyer, même de loin, le chrisme des boucliers ou des étendards byzantins…

PL

 

Notes

  1. Notre bibliographie pour les batailles livrées par Gaston IV au cours de la première croisade : Pierre Peyrous, « Gaston IV de Béarn, le guerrier : ses premières armes et sa participation à la première croisade » et Benoît Cursente, « Gaston IV au miroir des historiens latins de son temps » in  « Gaston IV le croisé : le Béarn et son héros épique : actes des conférences de Lacommande de 2014 et 2015 », sous la direction de Benoît Cursente, Société des sciences, lettres et arts de Pau et du Béarn, 2016 – pages 40 à 51 et 53 à 57.  Lire aussi : Pierre Tucoo-Chala, « Quand l’Islam était aux portes des Pyrénées. De Gaston IV le Croisé à la croisade des Albigeois (XIe-XIIIe s.) », J. et D. Editions, 1994 (pages 43 à 84). Et Pierre de Marca, « Histoire de Béarn », Paris, 1640 (pages 360 à 369, citant diverses sources).
  2. Cités par Benoît Cursente, ibid pages 54-55.
  3. Pour un point de vue sur cette question, lire Speros Vryonis, « The decline of medieval Hellenism in Asia Minor: and the process of Islamization from the eleventh through the fifteenth century », University of California Press, 1971 – Paperback, 2008. Lorsque les Turcs envahissent l’Anatolie, celle-ci n’est encore que la partie orientale de ce nous appelons aujourd’hui « l’Empire romain d’Orient » ou « l’Empire byzantin ». « Royaume des Romains » ou « Romanie » (« Βασιλεία Ῥωμαίων », « Ῥωμανία ») : tel était le nom que ses gouvernants, et ses habitants, donnaient à ce pays disparu. Sa capitale Constantinople (l’ancienne Byzance) était aussi nommée « la nouvelle Rome », ou « la deuxième Rome ». Les « Byzantins » s’appelaient communément « Romains » (entre autres) ; dans l’Europe occidentale d’alors, ils sont communément appelés « Grecs ». Ils avaient le grec pour langue principale, et le christianisme orthodoxe pour religion dominante… Les Grecs d’aujourd’hui se considèrent volontiers, non sans raison, comme les descendants des populations byzantines de langue grecque ; pendant longtemps les Turcs ont continué d’appeler les Grecs « Roums », c’est à dire « Romains » (dans le sens de « Byzantins »). Et dans le langage courant, les ancêtres des Grecs se sont appelés « Romii » / « Ρωμιοί », parfois à titre exclusif, parfois concurremment avec les mots « Grékos' » / « Γραικός » ou « E’llinas » / « Έλληνας » .  Les Turcs seldjoukides donnèrent à leur sultanat le nom du pays des vaincus : « Sultanat de Roum ». Mais c’est un autre sujet.

 

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Blason du Béarn (Image wikimedia).

 

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