En Grèce et à Chypre, le père Noël a pris le nom de Saint Basile, en grec Aï Vassi’lis / Άι Βασίλης.
Les représentations commerciales d’Aï Vassi’lis, en père Noël occidental classique, barbe blanche et habit rouge, cohabitent avec le Saint Basile chrétien. Celui des icônes, Saint Basile le Grand (Άγιος Βασίλειος ο Μέγας / A’ghios Vassi’lios o Mé’gas), évêque du 4ème siècle, théologien, classé parmi les Pères de l’Eglise. Un intellectuel, qui s’intéressa entre autres, à la façon dont les chrétiens pouvaient lire les auteurs païens de l’antiquité. Plusieurs de ses textes nous sont parvenus.
Saint Basile est fêté le 1er Janvier dans l’Eglise orthodoxe, et le 2 janvier dans l’Eglise catholique (cf le synaxaire orthodoxe grec saint.gr http://www.saint.gr/1/saint.aspx, et pour les catholiques, le site de la Conférence des Evêques de France https://nominis.cef.fr/contenus/saint/353/Saint-Basile-le-Grand.html).
Nourriture de l’esprit…
Basile le Grand fut l’auteur de nombreuses lettres et homélies, de discours, traités, et commentaires en langue grecque.
L’un des textes les plus inattendus de ce Père de l’Eglise est aussi l’un des plus brefs et des plus accessibles : Aux jeunes gens, comment tirer profit de la littérature grecque, ou Προς τους νέους όπως αν εξ ελληνικών ωφελοίντο λόγων, écrit au 4ème siècle de notre ère.
Les éditions Les Belles lettres avaient déjà publié la traduction de Fernand Boulenger en 1935 sous le titre Saint Basile Aux jeunes gens sur la manière de tirer profit des lettres helléniques (Les Belles lettres, Collection des Universités de France, Paris, 1935). Elles récidivaient en 2012, avec une nouvelle traduction d’Arnaud Perrot : Basile de Césarée Aux jeunes gens Comment tirer profit de la littérature grecque, Les Belles Lettres, collection Classiques en poche, Paris, 2012 – en vente sur le site de l’éditeur https://www.lesbelleslettres.com/livre/149-aux-jeunes-gens-comment-tirer-profit-de-la-litterature-grecque.
On trouve une autre traduction, dans un recueil traduit par l’Abbé Athanase Auget (1734-1792), Vicaire Général du diocèse de Lescar – et notamment une édition de 1827, cf « Discours adressé aux jeunes gens, sur l’utilité qu’ils peuvent retirer de la lecture des livres profanes » in Homélies, discours et lettres de Saint Basile le grand, Paris, 1827, dont voici la table :
Le texte porte donc sur l’utilité des auteurs païens : un chrétien doit-il les rejeter en bloc, ou pas ?
La réponse de Saint Basile peut surprendre. Pour lui, ils peuvent préparer à la foi chrétienne : « On dit par exemple que le grand Moïse lui-même (…) exerça sa pensée dans les connaissances des Egyptiens et que, cela fait, il en vint à la contemplation de l’Etre. De façon comparable (…) on dit que le sage Daniel apprit d’abord la sagesse des Chaldéens à Babylone (…) ». « Eh bien que les connaissances profanes ne sont pas chose inutile pour les âmes, voilà qui a suffisamment été dit ; de quelle manière, maintenant, il faut que vous en preniez votre part, c’est ce que la suite va dire » (extraits de la traduction d’Arnaud Perrot, édition Les Belles Lettres de 2012, page 11).
Au fil du texte, Basile de Césarée fait référence à Homère, à Platon, à Euripide, à Solon, à Euclide, à Hésiode, à l’Odyssée, à certains personnages mythologiques (Héraclès) ou historiques (Périclès). Dans le même temps, il invite le jeune lecteur à faire la part des choses. S’adressant à ceux qui « chaque jour [vont] à l’école et [fréquentent] l’élite des Anciens, par l’intermédiaire des livres qu’ils ont laissés » il déclare : « il ne faut pas abandonner à ces hommes, une fois pour toutes, le gouvernail de votre intelligence, comme celui d’un navire, ni les suivre quel que soit l’endroit où ils veulent vous conduire, mais il ne faut recevoir que ce qu’ils ont d’utile et savoir aussi ce qu’il faut laisser de côté » (ibid page 5).
Ce n’est pas une foi baignée dans l’ignorance que propose Basile le Grand, mais une foi qui se frotte à toutes les activités de l’esprit : poésie, rhétorique, philosophie… « Ainsi donc, il conviendrait, dès à présent, de scruter chacune des connaissances et de l’adapter au but qui est le nôtre » (pages 13, 15). Il insiste sur la philosophie, soutenant que la vertu a fait l’objet de beaucoup d’éloges par les poètes et « par les prosateurs », « beaucoup plus encore par les philosophes», et que donc « c’est aux livres de cette nature qu’il faut surtout nous appliquer. » (ibid page 17)
Il ne faut pas chercher dans ce texte de longs approfondissements (57 pages introduction comprise, avec le texte grec dans l’édition de 2012). Comme l’indique Arnaud Perrot dans l’introduction à sa traduction (ibid) : « s’il n’atteint pas les hauteurs de certains traités théologiques de Basile, et ce n’est pas là son but, le Discours aux jeunes gens a le mérite de nous faire réfléchir (…) sur la circulation des textes littéraires d’un milieu spirituel à l’autre. »
L’art de se confronter aux contradictions, ou aux contradictions apparentes, semble une constante chez Basile. Dans un tout autre texte, il écrit à un guerrier : « J’ai trouvé en vous un homme qui justifie par sa conduite qu’on peut aimer Dieu parfaitement dans la profession militaire, et que ce n’est pas l’extérieur et l’habit, mais l’esprit et les mœurs qui font le chrétien » (« A un guerrier », in Homélies, Discours et lettres de Saint Basile le grand, traduction de l’abbé Auget, Paris, 1827 page 349).
L’introduction d’Arnaud Perrot vaut à elle seule le détour. Outre les éléments biographiques, le contexte et un aperçu des discussions qui opposent les spécialistes, il y esquisse une thèse intéressante dès le début de l’ouvrage : « Le temps est révolu où l’on envisageait uniquement les rapports entre hellénisme et christianisme anciens en termes de conflit. (…) Contrairement à une idée reçue, les païens n’ont pas eu le monopole de l’hellénisme. Le christianisme ancien est, sous certains aspects, un hellénisme c’est à dire une forme particulière de culture grecque, même s’il s’agit aussi d’une forme d’hellénisme critique. » Une invitation à s’ouvrir l’esprit, à s’interdire de réduire la culture grecque à une seule période ou à une seule forme de pensée (par exemple, la période classique et la pensée platonicienne). A dépasser la barrière du vocabulaire (au fil des siècles, le terme « hellène » prit le sens de « païen », avec une connotation péjorative qui en réduisit fortement l’usage, avant d’être à nouveau en odeur de sainteté).
Basile de Césarée se situe à la charnière de deux univers. Il témoigne de la façon dont la langue grecque a charrié avec elle une culture sophistiquée, composite, complexe, qui muta du paganisme vers le christianisme. On pourrait dire que cette mutation n’a rien d’exceptionnel ; la question s’est posée aux autres populations du monde gréco-romain, et plus tard aux cultures scandinave, germanique et slave. Avant cela, le paganisme grec avait lui-même évolué, et s’était aggloméré à d’autres spiritualités ou cultes que ceux auxquels on le réduit parfois (apparition du culte de Mithra, des textes hermétiques, etc. – note 1). Le débat sur la nature de cette culture chrétienne de langue grecque, héritière en partie du monde gréco-romain, se poursuit : entre ceux qui insistent sur les éléments de continuité et ceux qui ne voient que les éléments disparus, ou pour tenter un parallèle, entre ceux qu’on pourrait appeler les « évolutionnistes » pour qui la culture grecque s’est transformée, et les « créationnistes » pour qui une autre culture est apparue sans aucun lien avec la première. Tout n’est peut-être qu’une affaire de définitions.
L’ennui avec ces débats est qu’ils monopolisent un peu trop l’attention au détriment du fond, de la connaissance de cette culture, de ce qu’elle a à nous dire. Les Italiens peuvent lire dans Rome comme dans un livre d’histoire ; les Gréco-byzantins ont perdu la « seconde Rome », Constantinople (fondée sur Byzance par l’Empereur Constantin, à peu près en même temps que naissait Basile le Grand). C’est elle qui racontait mieux que toute autre ville, par ses monuments, ce nouveau monde, cette synthèse du christianisme, de la langue grecque, et de l’Empire romain. Quant à Athènes, qui se souvient que le Parthénon fut une église chrétienne consacrée à la Vierge, et l’Héphaïstéion, temple d’Héphaïstos et d’Athéna Ergané, une église dédiée à Saint Georges ? Cela ne se voit pas, cela demande un effort. Le goût de l’antique a marginalisé et même effacé en partie, son passé chrétien. Restent les églises, les icônes, la foi de ceux qui l’ont, la langue, les textes, le patrimoine immatériel.
Le petit texte de Basile nous invite tout simplement à la lecture. Comme les monuments que sont la Myriovivlos, la Souda, les textes d’Hermès Trismégiste, et tant d’autres (note 1 et 2). Il faut saluer au passage le travail des éditions Les Belles Lettres, des éditions Anacharsis, et des traducteurs comme Arnaud Perrot qui font redécouvrir aux lecteurs francophones, les écrits grecs des débuts de l’ère chrétienne. Parcourons, lisons, plongeons.
… et nourriture « tout court ».
Basile le Grand est associé à des activités plus prosaïques et festives.
Traditionnellement, les enfants grecs recevaient leurs cadeaux le 1er janvier, jour de la Saint Basile, plutôt que le jour de Noël. Les pratiques internationales ont cependant gagné du terrain. En interrogeant les familles grecques d’aujourd’hui, on constate que les usages sont variables : certaines continuent de distribuer les cadeaux le premier janvier, d’autres le jour de Noël, d’autres aux deux occasions.
Ainsi Basile, devenu père Noël, transitait en plus du reste, du monde chrétien à la société de consommation.
C’est également à Saint Basile que les synaxaires et ouvrages orthodoxes attribuent une coutume un peu équivalente à la « galette des rois » française : la vassilo’pita / βασιλόπιτα, la « galette de Basile » en quelque sorte (ibid). Les familles grecques n’attendent pas l’Epiphanie et la préparent dès la veille du premier de l’an ; on y cache une pièce de monnaie. On n’y couronne pas celui qui trouve la « fève » ; la ressemblance entre les deux coutumes reste frappante, d’autant qu’en grec, « roi » se dit Vassilias (βασιλιάς) ou à l’ancienne, vasilevs (βασιλεύς, pour les francophones « basileus » en prononciation érasmienne). Les mêmes sources, font remonter l’origine de la vassilo’pita à l’époque où Saint Basile était évêque de Césarée, en Cappadoce. Il existe quelques variantes ; Saint Basile aurait voulu restituer équitablement un impôt ou un tribut, en distribuant au hasard à la population de la région, des pièces ou des valeurs dissimulées dans des galettes ou dans des morceaux de galette (pour éviter les anachronismes, rappelons qu’au 4ème siècle de notre ère, Césarée n’était pas située en « Turquie » mais dans la partie orientale de l’Empire romain – la langue turque et les premières tribus turques ne sont apparues massivement dans ces régions que sept siècles plus tard).
Meilleurs vœux.
P.L.
Note 1. :
Par exemple :
Note 2. :
Par exemple :
[…] […]